Le haka, une danse folklorique ?

8 de février de 2024 Non classifié(e)

Haka, une danse folklorique ?

Du mythe fondateur au terrain de rugby

— Par Simon Valzer*

Haka. Le mot résonne dans la gorge comme un coup de hache sur un tronc d’arbre. Sitôt prononcé, une foule d’images se bouscule dans nos esprits occidentaux. La première est celle de quinze hommes en noir hurlant et frappant leurs cuisses et leurs poitrails de taureaux sur un terrain de rugby, face à leurs adversaires.

Ces hommes sont les All Blacks, et forment la sélection nationale de rugby à XV de Nouvelle-Zélande qui pratique cette danse avant chaque début de rencontre depuis plus de deux siècles. Non content d’en être devenu les principaux vecteurs de diffusion, ils ont fait de celle-ci une icône de la culture maorie dans le monde. Et pourtant, nous n’en savons rien, ou si peu… Terrible paradoxe. Comme si la diffusion de cet élément culturel avait été si fulgurante qu’elle n’avait jamais pris le temps de la démonstration, du partage et de la compréhension par l’Occident…

UN TEXTE À FLEUR DE PEAU

Un haka est une danse cérémonielle qui a toujours existé en Nouvelle-Zélande, depuis l’époque des premiers contacts avec les Maoris à nos jours. En langue maorie, « haka » veut dire « danser ». Un haka est une création originale, au même titre qu’une chanson ou qu’une chorégraphie. Il en existe donc une infinité. Et si, en général, les Occidentaux n’en retiennent que la dimension physique, la barrière de la langue les empêche de percevoir son aspect le plus fondamental : son message.

Car il faut rappeler qu’aux temps précoloniaux, la culture maorie était dépourvue d’écriture. Par conséquent, l’ensemble du processus de transmission des connaissances reposait sur l’oralité, et les danses traditionnelles faisaient partie de ce processus. Un haka peut raconter des mythes fondateurs, l’histoire d’une tribu, ou encore un épisode historique. Mais il est aussi une création de son temps, et peut traiter de n’importe quel sujet de la société actuelle, positif ou négatif. Il existe quelques grands types de hakas. Certains sont d’ordres cérémoniels (haka taparahi), d’autres, guerriers (haka peruperu) ou encore funéraires (haka maemae). Mais tous trouvent leur origine dans le même mythe fondateur, celui de Tane-Rore.

«En langue maorie, « haka » veut dire « danser ».
Un haka est une création originale, au même titre qu’une chanson ou qu’une chorégraphie. Il en existe donc une infinité.»

Simon Valzer

Multiples 23/24 © Sébastien Erôme

DE TANE-RORE AUX CONCERT PARTIES : VOYAGE DANS LE TEMPS

Dans la mythologie maorie, la danse est venue de Tane-rore, fils du Dieu Soleil Tama-nui-te-Ra et de la Femme Eté Hine-raumati. Fruit de l’union entre le soleil et la chaleur, Tane-rore représente le mouvement. Les Maoris disent qu’il est possible de le voir danser dans les tremblements de l’air lors des fortes chaleurs, ou le reflet vacillant de la lumière du soleil sur les vagues. De nos jours, Tane-rore est incarné dans le tremblement qui secoue les mains des danseurs, appelé le wiri wiri.

Les premiers récits faisant état de haka viennent du navigateur Abel Tasman qui, le 18 décembre 1642, devint le premier Occidental à entrer en contact avec des Maori à Taitapu, sur la pointe nord de l’île du Sud. Une rencontre qui vira malheureusement au drame, car après deux jours d’échanges à distance marqués par l’incompréhension, un accrochage entre les deux parties survint, provoquant la mort de trois Hollandais.

[Puis], le lieutenant James Cook accosta le 8 octobre 1769 non loin de Gisborne, sur la côte Est de l’île du Nord. Là encore, les Occidentaux prirent peur, et tuèrent un Maori sans raison apparente. Peu à peu, les deux peuples apprirent à se connaître et certains colons, non sans craintes, s’intéressèrent de près à l’art du haka. D’autres, comme les missionnaires chrétiens condamnèrent violemment ces danses qu’ils estimaient sauvages. Malgré tout, la pratique perdura. Et évolua, au même titre que la culture maorie et les danses traditionnelles qui furent progressivement regroupées sous un ensemble d’arts performatifs maoris aujourd’hui appelé kapa haka (« danse en groupe »), dont le haka est l’une des cinq disciplines.

LES AMBASSADEURS NOIRS

Il fallut attendre 1987 pour que le Ka mate soit systématiquement réalisé avant chaque match des All Blacks, à la demande du capitaine Wayne « Buck » Shelford et du talonneur Hikatarewa Reid. Tous deux originaires de Rotorua, ils étaient sensibles à l’importance et aux significations du haka dans la société maorie et ont exigé de leurs partenaires qu’ils le réalisent avec rigueur et intensité, chose qui n’avait pas toujours été vraie par le passé. Shelford et Reid ont réexpliqué les paroles, enseigné la diction, les mouvements, avant d’organiser des répétitions collectives jusqu’à la parfaite synchronisation du groupe. Le changement fut radical, et les leaders tribaux se félicitèrent de voir que les All Blacks se montrèrent à la hauteur de leur patrimoine culturel.

 

*SIMON VALZER est journaliste à Midi-Olympiques.fr et auteur de la thèse « Un exemple de revitalisation culturelle : les arts performatifs maori – Haka et Kapa haka » sous la direction de Sébastien Darbon, Aix-Marseille 1 (2010). Cet article est un extrait du Parcours thématique « Le Haka à travers les âges : du mythe fondateur au terrain de rugby », paru en 2015 sur le site Danses sans visa.

 

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